La Théâtrothèque par Yves-Alexandre Julien : Gros plan sur Emile Azzi


Il est des rencontres théâtrales, des comédiens dont on pourrait dire de leur talent comme de les rencontrer sur notre chemin que cela n'est point le hasard comme d'aucuns les yeux tournés vers la lumière s'étonnent de ne pas s'en éblouir...

Il est des rencontres dans la vie dans lesquelles on pourrait redire avec ferveur, frissons et émotion le mot point d’orgue au roman de Georges Bernanos Journal d’un Curé de Campagne : « Tout est grâce ». C’est bel et bien par ces mots qu’on a envie de dresser le portrait tout à fait singulier d’un comédien hors pair animé par ce «Tout » Bernanosien.

Pourtant Emile Azzi à tout juste l’âge du Christ, le même nombre symbolique de boutons sur une soutane et son témoignage ressemble à tous ces êtres d’exception animés d’une foi extraordinaire comme si l’invisible avait pris corps en eux pour nous laisser entrevoir la douce lumière de l’Espérance. Emile Azzi et sa compagnie théâtrale « A Ciel Ouvert Les Justes Causes » joue admirablement Paul Claudel et développe dans son jeu d’acteur son message à la fois universel d’Amour tant dans l’Annonce Faite à Marie que dans Tête d’or ou prochainement dans Partage de midi et dans le futur talentueux qui l’anime l’Evangile Selon Saint-Jean qu’on s’impatiente de voir mis en scène et joué.

Comme Françoise Thuriès dans la peau de saintes femmes ( Sœur Emmanuelle ou Thérèse d’Avila) comme Michael Lonsdale en acteur engagé, comme Lambert Wilson en sa conversion , Emile Azzi est de cette race de comédiens avec des épaules larges semblant vouloir porter des fardeaux par Amour avec lesquels s’harmonisent des mains parlantes aux gestes gracieux de mime qui dessinent la vie spontanément. Le visage sculpté à la serpe et le regard intensément doux, Emile Azzi est tout entier un immense paradoxe en quête consciente d’Absolu …


Quand et comment a débuté cette belle aventure par rapport à l’école Saint-Louis Sainte-Clotilde dans laquelle vous enseignez l’Art dramatique à Paris dans le 7eme arrondissement ?


J’ai rencontré quand je jouais Tête d’or de Paul Claudel à la crypte Saint-Sulpice en 2013 Philippe Michel et nous avons sympathisé et échangé et l’idée de ce projet de créer ensemble une école de théâtre en partant de nos désirs et de nos convictions a ainsi vu le jour.

De par mon parcours j’avais envie de véhiculer certaines valeurs, car pour moi le métier de comédien c’était cela et quand je me confronte réellement à la réalité je me suis rendu compte que c’était tout sauf cela. J’avais envie en me lançant dans cette aventure de mettre en avant les valeurs dont je parle. Dans cette école je travaille énormément la technique avec les comédiens et je n’essaie pas de les formater mais de faire en sorte qu’ils trouvent leur propre sensibilité, leur voix, leur corps et ensuite je pense que chacun a des choses à dire et il ne faut pas que ce soit nous qui fassions dire aux comédiens ce dont on a envie, de les faire exister comme nous on a envie de les faire exister comme on peut voir dans les écoles mais que chacun puisse trouver sa propre voix, son propre corps et à partir de là, laisser parler ses propres rêves, son imagination, donc beaucoup de techniques, des gammes presque comme si c’était du solfège et un aboutissement avec des spectacles.


Croyez-vous que la Providence était sur votre chemin le jour où vous rencontrez Philippe Michel en jouant Tête d’or à la crypte Saint-Sulpice ?


Quand on connaît la suite de cette aventure, je pense que la Providence elle est toujours là mais après ça dépend de ce qu’on fait et ma rencontre avec Paul Claudel et aussi d'une certaine manière chargée en fait puisqu'un livre est tombé alors que j’étais dans une bibliothèque et j’ai ramassé ce livre Tête d’or et après j’ai tout quitté, je suis parti dans un endroit isolé du monde puis j’ai monté ce projet et c’est comme cela que j’ai appris comment marcher, comment parler, qu’est-ce que l’espace, comment articuler, comment prononcer donc bien sûr il s’est passé un événement quand je jouais à la crypte Saint-Sulpice aussi étrange que cette rencontre même puisqu'on a par la suite créé une école de théâtre ensemble donc oui certainement !

Avant de vous lancer dans des études de comédien parlez-moi un peu de votre parcours des lieux qui vous sont chers et des personnes qui font de vous aujourd’hui ce grand comédien que j’ai découvert jouant dans l’Annonce Faite à Marie Pierre de Craon ?


Les personnes qui me sont chères : il y a bien sûr ma grand-mère qui m’a élevé quand j’étais tout petit jusqu’à l’âge de trois ans et pendant une année avec laquelle j’ai vécu complètement puisque les circonstances ont fait que c’est elle qui m’a gardé. C’était une femme extraordinaire car elle m’a appris ce que c’était que l’Amour .Personne ne m’a aimé comme elle je pense .C’était une femme très simple qui n’a fait que de donner dans sa vie et elle a toujours été au service des autres en permanence et sa manière d’être elle ne savait pas lire elle ne savait pas écrire ce n’était pas quelqu’un de cultivé mais quelqu’un d’une simplicité qui fait que je réalise que parmi nous en fait il y a parfois des saints, des anges, des gens extraordinaires et on ne s’en rend pas compte en fait et le jour où ils disparaissent on sent un vide terrible et on réalise à ce moment-là qu’on avait la présence du Christ parmi nous à travers ces gens-là parce qu’ils sont à l’image du Christ ils véhiculent cet amour-là et je pense que c’est cela le message de l’Évangile on est tous appelés à être à l’image de Dieu puisque Dieu nous a créé à son image on est tous des prêtres , on est tous des êtres d’Amour ,on est tous capable du bien et ma grand-mère m’a appris cela et c’est quelque chose d’extraordinaire .Après bien sûr, parmi les personnes qui comptent dans ma vie, dans mon histoire, dans mon parcours, il y a ma mère bien entendu .

J’ai souvent été très seul je suis quelqu’un d’assez solitaire parce que ma famille a souvent déménagé. De par ma singularité j’ai toujours été différent des autres , je me suis toujours retrouvé dans un contexte de minorité donc à partir de là il y a un problème qui dépasse le simple fait d’être comédien c’est un problème social en France et je pense partout dans le monde avec ces guerres qui éclatent .

Le problème c’est que non on ne vit pas ensemble et quand je dis singularité par exemple vous vivez avec des communautés ou souvent parce que vous êtes différent on va vous stigmatiser ou vous marginaliser mais parfois non pas parce que vous êtes différent par rapport à vos origines mais parce que vous êtes différents même par rapport à votre religion, par rapport à vos valeurs.

Si vous n’êtes pas d’accord ou en conformité avec le plus grand nombre on fait de vous un paria c’est cela que j’appelle la singularité puis après la singularité elle se développe dans le métier et on devient le comédien qu’on est donc on m’a souvent montré du doigt même dans ce métier de comédien en disant: « tu n’as pas ta place dans une école, tu n’as pas ta place dans une classe, tu n’as pas ta place ici » non pas parce que je ne réussissais pas les choses, mais parce que j’étais comme je vous l’ai dit d’un certaine manière singulier.


De ce parcours de comédien qui est le vôtre, quel enseignant, quel professeur connu, quel est le synopsis de ce devenir de comédien ? Est-ce une vocation ? Quelque chose dont vous rêviez ? Une étape dans le parcours d’une vie ?


C’est une question qui mène à plusieurs chemins, qui arrive de plusieurs chemins et elle peut partir en plusieurs chemins.

Je pense qu’on ne décide pas d’être comédien, c’est quelque chose de plus fort qui nous fait l’être et on m’a posé cette question dernièrement : A quoi cela sert d’être comédien ? Cela ne sert à rien finalement car moi ce que je voulais c’est changer le monde. Je suis né dans un monde qui fonctionne mal c’est comme dans Hamlet ce n’est pas de sa faute si la situation est comme ça; je suis né dans un pays en guerre dans un monde en guerre et puis ça a toujours été la guerre.

J’attendais en fait Superman, une fois on m’a raconté une histoire, une histoire qui a hanté mon enfance ; c’est une histoire vraie, c’est l’histoire d’un petit garçon qui habitait au 8ème et dernier étage d’un immeuble qui croyait en Superman et puis un jour, il voulait vraiment que Superman arrive et il s’est jeté par le haut du toit parce qu’il pensait que Superman allait venir le sauver donc moi j’étais un peu comme ce petit garçon mais je ne suis pas allé jusqu’à sauter du dernier étage, je me suis dit très bien Superman n’existe pas alors il faut que tu deviennes Superman : d’une certaine manière dans la vie il ne faut pas attendre, il faut y aller ! Je n’ai aucune prétention à faire ce métier, je ne me considère pas comme un artiste parce que cela n’a plus la même signification mais je pense qu’il y a une part de vouloir changer le monde là-dedans et je pense que c’est une vocation.

Je ne vous parlerai pas des rencontres professionnelles car je n’en ai fait aucune. J’ai toujours voulu chercher un maître et c’était mon drame dans ma vie de ne pas parvenir à trouver quelqu’un avec qui je puisse travailler, échanger et progresser. Je n’ai malheureusement ou heureusement trouvé personne et ma rencontre professionnelle en vérité à commencé avec avec un livre. Bien sûr qu'elle a commencé avant mais là où j’ai vraiment réalisé c’est que cette rencontre m'a poussé à tout quitter à m'isoler dans un lieu en France où personne n’est présent où il n’y a pas une voiture qui passe et j’ai vécu cette expérience pendant très longtemps et c’est là où j’ai appris que ce que c’était d’être comédien comment parler comment articuler comment avancer comment prendre l’espace donc je pense que c’est dans les bois et en parlant avec les pierres que j’ai compris ce qu’était le métier de comédien.


Lors d’une interview il y a quelques années j’avais eu l'honneur de m'entretenir avec la danseuse Mireille Nègre en lui tendant l’affirmation de Saint-Augustin : « chanter c’est prier deux fois » pour qu’elle me réponde à son tour « danser c'est prier trois fois ». Cela donne envie de savoir pour vous qu'est-ce que c’est de jouer sur scène ?


C’est une très bonne question ! Vous avez parlé des lieux qui m’ont beaucoup marqué .Bien sûr il y a le pays qui m’a donné naissance et puis la France bien entendu et une région qui se nomme la Bourgogne et qui est située au cœur de la France.

Jouer pour moi c’est jouer pour Dieu et si danser c’est prier trois fois, chanter c’est prier deux fois, alors je pense que quand on joue, on se donne complètement âme, cœur, corps, esprit et c’est une donation entière et ce pourrait être une rime de mon prénom sans le « E », ce serait donc « prier mille fois ».


Vous avez aussi une formation au chant. Quelle place occupe le chant dans ce parcours de comédien ? Dissociez-vous le chant de votre rôle de comédien où est-ce que vous l’intégrez à cet art ? Pouvez-vous m’illustrer des moments où des temps forts à trouver à travers le chant sur votre parcours ?


Vous avez parlé des gens qui auraient pu m’influencer et c’est par la suite que j’ai découvert certains visages de la scène française ou des gens qui ont pu parfois me toucher et de là, je suis peut-être inculte mais il y a des grands comédiens que je ne connaissais pas de leur vivant que j’ai découvert après parce qu’on en a parlé. Concernant la question du chant, c’est l’âme qui vibre à l'intérieur et même le théâtre est un chant pour moi. Je ne peux pas concevoir le théâtre sans la parole poétique .La parole poétique c’est le chant de l’âme donc de fait on ne peut pas jouer sans chanter parce que l’émotion elle vient de là .On ne peut pas être un acteur sans âme , ce n’est pas possible donc l’âme chante à travers le corps et c’est pour cela que le chant est quelque chose qui fait partie du métier de comédien .J’ai perdu ma voix un moment donné et les circonstances de la vie ont voulut qu’à la suite de violentes critiques je n’aies plus de voix. Je chantais comme tout le monde mais je ne prenais pas de cours et puis j’ai rencontré un monsieur qui s’appelle Michael Popescu et ce monsieur m’a proposé d’être mon professeur de chant .Ce monsieur était un grand chanteur ténor qui a fait de grands opéra et je l’ai rencontré juste avant sa mort. Il était atteint d’un cancer et cet échange que j’ai eu un moment donné avec lui m’a permis en fait de développer cet outil que je ne possédais pas et de réaliser à quel point en fait je prenais conscience qu’on ne formait qu’un entre la parole et le chant et donc on ne peut pas jouer sans chanter au fond de nous-même . Cette rencontre avec cet homme m’a permis de prendre conscience de manière visible et matérielle de cet outil. Il est décédé deux ans après et il n’y avait presque personne à son enterrement. On réalise à quel point le métier d’artiste est un métier éphémère … Il ne reste rien sauf les souvenirs et s’il n’y en a pas quelque chose de l’ordre de la vocation face à cette société qui fait dire qu’ il n’y a pas de petits métiers et quand on fait quelque chose on doit le faire par Amour car si on fait les choses sans Amour c’est comme si on donnait du poison .Il n’y a rien qui en ressort et c’est la même chose dans la transmission des valeurs, dans l’éducation, dans toutes les professions et je pense que ce monsieur en l’occurrence transmettait avec de l’Amour .

Pourquoi ce bois sur scène ?


Je vous ai parlé d’un lieu où il y a une phrase dans la parole de pierre de Craon où il dit parce que souvent c’est bizarre on ne choisit pas ses rôles ce sont les rôles qui vous choisissent et après on réalise que ce n’était pas par hasard et il y a un lien entre Tête d’or et Pierre de Craon et Pierre de Craon qui dit donc «Jadis passant dans la forêt de Fismes j'ai entendu deux beaux chênes qui parlaient entre eux, louant Dieu qui les avait faits inébranlables à la place où ils étaient nés. Maintenant, à la proue d'une drome, l'un fait la guerre aux Turcs sur la mer Océane, l'autre, coupé par mes soins, au travers de la Tour de Laon, soutient Jehanne la bonne cloche dont la voix s'entend à dix lieues. » et dans Tête d’or il y a cette rencontre avec l’arbre et lorsque je suis parti et que j’ai réalisé que ma vocation était d’être comédien j’ai ramassé ces branches je les ai choisies individuellement, singulièrement et je ne savais pas un jour qu’elle me serviraient. Elles sont devenues mon chemin dans Tête d’or et dans l’Annonce Faite à Marie elles sont le chemin que va parcourir Mara pour retrouver Violaine mais cela peut symboliser une bougie de prière à chaque pas qu’elle fait. C’est une prière pour interpeller dieu, c’est comme une bougie qu’on allume à chaque pas pour essayer de trouver le chemin .

On est tous à la recherche d’un chemin , de notre chemin et on ne peut pas avancer d’un pas sans avoir certainement un peu d’aide de la Providence mais il faut la susciter, il faut aussi être capable d’écouter des choses et de bien les distinguer.

Émile Azzi pousse jusqu’à parler de bois de la croix en posant sur le bois un regard de fascination. Il dit de ce même élément : « …l’enracinement le plus solide dans une terre et en même temps une volonté, une aspiration de s’élever vers le ciel, c’est cela qui m’a toujours inconsciemment porté. Un homme sans ses racines c’est terrible et en même temps un homme enraciné qui ne regarde pas vers le ciel, vers une étoile, qui ne recherche pas une essence qui lui permette de regarder vers quelque chose, qui lui donne une quête dans une société qui a perdu ses racines on voit ce que cela peut donner ! »



http://www.theatrotheque.com/web/news778.html#chroniqueur

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